Cela a démarré je ne sais pas trop sur quelle situation, c'était déjà bien embrouillé. Il était question de dates. Il y a toujours eu, pour tout avec lui, une question de dates. Il y avait cette cérémonie en tout cas. Où je savais qu'il serait. Non, il y avait cet endroit, où je savais qu'il serait. Je ne savais pas encore que cela ressemblerait à une cérémonie.
Il organisait toujours de grands événements pour ses anniversaires, mais ce n'était pas son anniversaire. J'aurais dit une saison d'été, un peu humide, un peu pluvieuse, poissante.
Je suis tombé, je ne sais pourquoi, sur P-O. Si, probablement parce qu'il devait partir (pas en tête-à-tête, ils étaient tout un petit groupe)
Ils devaient partir, plus tard, pas après cette journée, mais plus tard, et P-O par pitié ou par envie sexuelle fit mine de rester avec moi toute cette journée.
Nous fîmes un aller-retour à la salle. Beaucoup de monde, mais lui n'y était pas. Pas encore arrivé. Tout le monde sur son 31. Ses parents n'étaient pas là non plus, mais oui, certains de ses proches connaissances. Crânes lisses hypocrites. Bouclettes blondes stupides et indécentes. Dégoulinants pastels. L'endroit est grand, segmenté, plusieurs pièces, des vues magnifiques sur la région bien qu'on ne soit pas en hauteur. J'invitai P-O à la maison.
Nous prîmes l'ascenseur. Bien sur les trois premiers étages, puis ça grince au quatrième. Les murs perdent de leur verticalité, s'obliquent, se tordent un peu. Nous sortons sur un palier sombre pour finir de monter quelques marches à pied. Nous rentrons chez moi. C'est sombre et mansardé, une meurtrière couchée donne une vue sur la région. Il y a beaucoup de bois. Je m'allonge près de P-O, lui caresse le pantalon. Je sens qu'il a le même pénis que P-J. Je continue à la masturber, un chat nous enjambe de temps en temps. C'est de plus en plus étouffant ici.
On doit retourner à la salle. C'est là qu'est l'important. Il faut que je le croise et que je lui parle. J'abandonne P-O qui va rejoindre d'autres proches, je cherche du regard. J'embrasse les petits groupes de l'assemblée d'un regard circulaire, jusqu'à ce qu'un frisson glacé me parcourt l'échine et me bloque dans ma rotation. Parlant à des inconnus, il est là.
Il s'est amaigri, le visage et le verbe sont plus fins, plus tranchants que dans mon souvenir. Je tends l'oreille mais n'entends rien de sa voix. En son for intérieur, un paon de la verpillière la queue ouverte, blessé mais qui ne guette pas le danger, une montre de précision aux rouages d'or dans sa cage thoracique.
Son regard se lève et me croise.
Son oeil est noir et profond. Epais comme les nuits où l'on change de lune. Il me fixe un trop bref instant :
Non : me coupe, me lacère, m'enflamme et me carbonise d'une fureur de jugement dernier : je ne comprends pas son message. Il a trop de choses à me dire, il y a des silences immenses impossibles à combler. Et que j'ai peur d'interpréter. Il n'y aura plus rien à l'avenir, nous ne croiserons plus les regards, nous ne recroiserons plus, je ne le sais pas encore.
Je pars en quête de têtes connues, de je ne sais pas trop quoi, je fuis quelque chose sous un imper' et en bas de jogging noir, je n'ai rien à faire là. De temps en temps la tête dans les mains : "mon Dieu, qu'est-ce que j'ai fait ?" Je croise Fany (pourquoi a t-elle été invitée ?) en petite robe évasée noire, un noeud dans les cheveux, des babies aux pieds, la dernière tenue au monde qu'elle aurait aimé revêtir. Contente de me voir. Pas un moment abasourdie par la situation. Autour de nous les préparatifs battent leur plein, le monde ne désemplit pas. Lui est parti se changer. Un tuxedo queue-de-pie avec chemise blanche à jabot, ça faisait trop popu.
Il est au centre de la fête, mais pourquoi ? Il n'y a ni "groom or bride", ni gâteau d'anniversaire, ni remise de diplôme, et ce n'est pas son anniversaire. S'est-il fait organiser une party juste pour commémorer un jour lambda le fait qu'il existe ? Ou bien, comme me l'indiquaient quelques indices avant qu'on ne s'isole avec P-O, est-ce qu'ils partent après ?
Les invités s'organisent par groupes ordonnés, selon une logique qui m'échappe. Fany elle-même court, en me croisant m'interpèle devant une surprise à venir sans cesse grandissante, se baisse pour regarder sous une porte fermée : si, si, il est là ! il est en train de se changer, oh là là c'est énorme !
Ce qui est énorme c'est que je ne comprends rien. Que faites-vous là ? Que fais-je ici ? Pourquoi entend-on le refrain de Fame ? Pourquoi suis-je à deux doigts de pleurer en ouvrant les yeux, seul, dans ma chambre à coucher surchauffée ?
J'essaie de reprendre un souffle calme dans le noir, faire descendre un coeur qui tape encore trop vite pour un réveil en sursaut, connecter le plus logiquement ce rêve au contenu même de ce dimanche, où j'ai effacé son numéro de portable et les plus de 2000 textos que nous avons échangés. J'ai beau nettoyer ma vie de C. le plus concrètement du monde, mon subconscient me le ramène la nuit venue. Une nuit où on change de lune. Il n'est pas 8 heures du matin, je n'ai pas pris ni ma douche ni mon bol de thé, que j'ai déjà mal à ma journée. Et ça faisait longtemps...